Dans un monde où les inégalités économiques redéfinissent les enjeux sociaux, la question de la redistribution des revenus devient de plus en plus pressante. Pour répondre à cette problématique, trois modèles se distinguent : l’impôt négatif de Milton Friedman, le revenu universel, et le modèle LIBER proposé par Génération Libre.

Cet article propose une analyse comparative détaillée de ces trois concepts, en explorant leurs fondements théoriques, leurs avantages et leurs limites.

L’impôt négatif de Milton Friedman

Introduit dans les années 1960 par l’économiste américain Milton Friedman, l’impôt négatif vise à simplifier le système de protection sociale en remplaçant les multiples programmes d’aide par un mécanisme unique de crédit d’impôt. Ce dispositif fonctionne en accordant un soutien financier aux individus dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil. En pratique, une personne qui gagne moins que ce seuil reçoit un complément de revenu de l’État, lui garantissant un minimum vital.

L’idée de l’impôt négatif repose sur la volonté de Friedman de réduire la bureaucratie et d’augmenter l’efficacité des aides sociales. Dans Capitalism and Freedom (1962), Friedman soutient que ce modèle offre une alternative plus efficace aux aides publiques traditionnelles : “The advantages of this arrangement are clear. It is directed specifically at the problem of poverty. It gives help in the form most useful to the individual, namely, cash” (Capitalism and Freedom, p. 192). Friedman considérait que l’impôt négatif permettrait de préserver l’incitation à travailler, car le soutien financier diminue progressivement à mesure que les revenus augmentent.

Le principal avantage de l’impôt négatif est qu’il cible précisément les individus les plus vulnérables tout en réduisant les coûts administratifs. En outre, ce modèle préserve une incitation à l’emploi, contrairement aux systèmes de protection sociale traditionnels qui peuvent dissuader les bénéficiaires de chercher du travail. Des études, comme celle menée par Gary Burtless sur l’expérience de l’impôt négatif aux États-Unis dans les années 1970, ont montré que ce modèle pouvait effectivement réduire la pauvreté sans décourager significativement le travail.

Cependant, l’impôt négatif a été critiqué pour sa complexité de mise en œuvre et pour les effets potentiels d’une diminution progressive des aides. Charles Murray, politologue et auteur de In Our Hands: A Plan to Replace the Welfare State, a exprimé des réserves sur l’impôt négatif. Il a affirmé que, malgré son efficacité apparente pour augmenter les revenus des plus pauvres, ce système risque de perpétuer une forme de dépendance vis-à-vis de l’État sans s’attaquer aux causes structurelles de la pauvreté, telles que l’incitation à travailler et l’intégration sociale.

Le revenu universel : un soutien inconditionnel pour tous

Le revenu universel, ou revenu de base, est une allocation fixe versée à chaque citoyen, indépendamment de son revenu ou de son statut professionnel. L’idée de revenu universel est ancienne, mais elle a gagné en popularité dans les années 1980 et 1990 grâce aux travaux de penseurs comme Philippe Van Parijs et Guy Standing. Contrairement à l’impôt négatif, le revenu universel est inconditionnel et universel.

Ce dernier repose sur une vision égalitaire de la justice sociale. Selon Philippe Van Parijs dans Real Freedom for All, le revenu universel offre une sécurité économique à tous les individus, garantissant ainsi une « liberté réelle » : “A basic income provides each individual with the material means to pursue their own conception of the good life, free from coercion or economic necessity” (p. 38). Le modèle vise également à simplifier les systèmes d’aides existants en les remplaçant par une allocation unique et universelle.

Les défenseurs du revenu universel mettent en avant sa simplicité administrative et son potentiel pour réduire les inégalités. Des expérimentations récentes, comme celle menée en Finlande entre 2017 et 2018, ont montré que les bénéficiaires d’un revenu universel avaient une meilleure qualité de vie et moins de stress.

Cependant, les critiques du revenu universel se concentrent sur son coût élevé et les risques de désincitation au travail. Selon une étude de l’OCDE en 2017, un revenu universel financé par des impôts progressifs pourrait nécessiter des hausses significatives de la fiscalité, risquant de compromettre l’efficacité économique et de créer une dépendance accrue des citoyens à l’égard de l’État. Joseph Stiglitz, bien que partisan du Welfare State, souligne toutefois la diminution potentiel de l’offre (i.e. les demandeurs d’emploi) sur le marché du travail, en particulier dans les secteurs peu qualifiés.

Le modèle LIBER : une approche hybride inspirée de l’impôt négatif et du revenu universel

Développé par le think tank français Génération Libre, le modèle LIBER propose une solution hybride combinant les avantages de l’impôt négatif et du revenu universel. Le LIBER prend la forme d’un crédit d’impôt universel financé par une taxe proportionnelle sur les revenus, appelée « Libertaxe ». L’objectif est de simplifier le système socio-fiscal tout en garantissant un revenu de base ajustable en fonction des revenus.

Ce modèle LIBER repose sur une philosophie mixte, inspirée des principes de liberté économique de Friedman et de l’universalité du revenu de base. Génération Libre décrit ce modèle comme une tentative de concilier liberté individuelle et sécurité économique : « Le LIBER vise à offrir un filet de sécurité universel, sans les inefficacités et la complexité des systèmes d’aides actuels. Il est à la fois progressif et universel, s’adaptant au niveau de revenu de chaque citoyen » (Génération Libre, 2018).

Le LIBER est salué pour sa capacité à offrir une sécurité économique de base tout en évitant les désavantages liés aux modèles purement universels ou conditionnels. Il propose une simplification du système fiscal, éliminant les multiples aides et réduisant la bureaucratie. Cependant, ce modèle nécessite une réforme fiscale majeure et un consensus politique difficile à obtenir, notamment dans un contexte de polarisation idéologique.

Certains critiques soulignent que le LIBER pourrait ne pas suffire à couvrir les besoins essentiels des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, surtout si le montant du crédit d’impôt est trop faible. De plus, les opposants craignent que ce modèle favorise les revenus moyens et élevés, au détriment des plus pauvres, créant ainsi une inégalité structurelle.

En conclusion, l’impôt négatif, le revenu universel et le modèle LIBER offrent trois visions différentes de la redistribution des richesses. Tandis que l’impôt négatif favorise une aide ciblée et conditionnelle, le revenu universel propose une sécurité inconditionnelle pour tous. Le LIBER, quant à lui, combine ces approches pour créer un filet de sécurité universel et progressif. Le choix entre ces modèles repose sur les priorités politiques et sociales des Etats, ainsi que sur leur capacité à concilier cette sécurité économique à leur gestion budgétaire.