La Syrie : un avenir incertain
En l’espace de quelques jours seulement, le mouvement rebelle dirigé par le groupe Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) a mis fin à une dictature de plus de cinq décennies. La chute du pouvoir des Assad – Hafez el-Assad (au pouvoir de 1970 à 2000) puis son fils Bachar – marque avant tout l’aboutissement d’un soulèvement populaire […]

En l’espace de quelques jours seulement, le mouvement rebelle dirigé par le groupe Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) a mis fin à une dictature de plus de cinq décennies. La chute du pouvoir des Assad – Hafez el-Assad (au pouvoir de 1970 à 2000) puis son fils Bachar – marque avant tout l’aboutissement d’un soulèvement populaire initié en mars 2011, dans le cadre des « printemps arabes ». Cependant, la force à l’origine de cette offensive éclair n’est autre que HTC, un groupe armé islamiste autrefois affilié à Al-Qaida, dirigé par Abou Mohammed Al-Joulani, un ancien combattant de Daech dont la tête est mise à prix par les États-Unis. Cette situation soulève des interrogations sur l’avenir du pays : pourra-t-il se pacifier et se reconstruire sans sombrer dans les travers qui ont marqué d’autres nations ayant renversé leurs tyrans ?
La période post-Assad s’annonce, en effet, comme une opportunité historique et un défi immense. Cet assaut furtif a fait tomber, sans massacre, l’un des régimes les plus criminels au monde, qui a tué et fait disparaître une partie de sa population, brûlé et vendu son pays pour conserver son pouvoir, et qui n’a survécu que grâce au soutien russe et à l’abandon des Occidentaux. C’est désormais le chef du mouvement HTC qui dirige le pays. Ce dernier prône une transition pacifique. Ce n’est d’ailleurs pas sa première conquête : cela fait six ans maintenant qu’il a pris le pouvoir dans la province d’Idlib et qu’il a mis en place un gouvernement civil. Son discours islamique radical est désormais plus modéré, évoquant même la nécessité de protéger les minorités et parlant d’une Syrie inclusive, démocratique et libre.
Malgré ce discours apaisant, il demeure djihadiste et fondamentaliste, ce qui interroge sur ses réelles intentions. Le régime instauré dans la province d’Idlib a subi des critiques de la part de la population, notamment en raison d’un pouvoir jugé de plus en plus dictatorial, d’une fiscalité pesante et d’une corruption omniprésente. De plus, le pays reste très divisé, en raison de la présence d’une partie de l’armée syrienne au nord-ouest du pays et de tensions confessionnelles déjà existantes auparavant. Le chaos créé par cette opération pourrait aussi bénéficier à l’État Islamique, encore présent dans la région. HTC doit surtout composer avec une économie exsangue, des infrastructures délabrées et une démographie très fragilisée après plus de dix ans de guerre civile et de départ massif de la population depuis 2011 (plus de la moitié de la population vit aujourd’hui en dehors du pays).
Le discours de l’intellectuel et dissident politique syrien, Yassin Al-Haj Saleh, est encore plus pessimiste, puisque selon lui, « douter des islamistes de HTC est un devoir ». En effet, pour lui, HTC n’est pas issu de la révolution populaire de 2011. Il s’agit d’un regroupement de djihadistes venus d’Irak, qui ont profité de la guerre de Bachar El-Assad pour s’implanter. Ils tentent désormais de se donner une nouvelle image. De plus, bien qu’ils donnent des assurances aux autres groupes confessionnels, l’idée du pluralisme politique ne semble pas d’actualité, alors qu’un débat intellectuel sur l’avenir du pays est indispensable.
La pacification et la reconstruction de la Syrie restent donc encore très incertaines. Les initiatives qualifiées de « progressistes » d’Al-Joulani, comme le respect des lieux de culte chrétiens ou la nomination de femmes à des postes clés, se heurtent aux critiques des courants conservateurs au sein de son propre camp. Ces divisions internes laissent entrevoir un avenir trouble.
Oscar Pierart